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Mon Parcours

Un double parcours : Des Beaux-Arts de Mexico à l’anthropologie, un travail artistique engagé bien ancré sur la réalité.

« Pendant une partie de mes études aux Beaux-Arts de Mexico, j’ai suivi en parallèle des cours d’anthropologie sociale. J’avais 18 ans, l’époque était floue, le monde artistique semblait énigmatique et inaccessible… Les enquêtes sociales encadrées par des anthropologues, des sociologues, des enseignants qui avaient les pieds sur terre ainsi que des rencontres avec des personnes de toutes conditions, c’est ce qui m’a aidé et ancré dans la réalité.

Cette double approche a orienté mon travail artistique qui parle de conditions humaines, de rencontres et de témoignages. L’individu est au cœur de mon travail de peintre et au centre de ma création. Cette période a été très intense extrêmement fatigante, exténuante même, mais ces années m’ont amené à développer un style particulier. Au cours de ces années d’études, une rencontre avec un professeur de dessin a été décisive.

Une rencontre déterminante dans ma technique

« En effet, je ne dessinais jamais, ce qui est encore le cas aujourd’hui, je vais directement aux couleurs. Ce professeur me voyant mal à l’aise avec le crayon m’a conseillé d’abandonner le dessin et de trouver ma propre technique. Par la suite, il m’a beaucoup soutenu dans mon approche peu académique. »

Ma matière, c’est l’individu ! 

« Mes études m’ont permis de mieux connaître certaines ethnies puisqu’on allait directement sur le terrain avec des équipes d’anthropologues et d’archéologues. Le Mexique est pour ça, un pays formidable, un grand terrain de jeu. J’ai pu effectuer des recherches avec les paysans-artisans, faire des enquêtes sur leur manière de vivre, les évolutions de leur condition sociale et leur lien avec leurs ancêtres. Vivre le concret, le quotidien avec ces personnes d’une richesse incroyable a été une expérience de vie fondatrice.

Je continue à fonctionner de la même manière. Mon œuvre se nourrit de rencontres, de lectures et/ou de discussions. C’est pour moi quelque chose qui est essentiel. Je ne pourrais pas vivre enfermé dans un atelier sans voir personne parce que je saurai pas quoi peindre. La matière de mon travail c’est l’humain.

Si j’applique des couleurs de surface c’est parce que j’ai des choses à dire de l’interaction entre l’autre et moi, c’est ce qui déclenche mon travail ». .

Du Mexique à New-York, puis Bâle : des lieux fondateurs 

En dehors du Mexique un autre lieu a marqué profondément mon parcours c’est le Musée New York. La visite de ce musée dans les années 70 a crée comme un électrochoc et j’ai encore du mal à en parler aujourd’hui, même des années plus tard, sans pleurer. Je me souviens donc de ma première visite au Moma, je montais lentement les escaliers pour accéder aux étages, lorsque soudain j’ai découvert la toile gigantesque, Guernica de Picasso. Je ressens encore cette émotion à fleur de peau, suscitée par les couleurs appliquées sur la toile. On peut faire passer une idéologie, des sentiments, quelque chose qui bouleverse comme la vie ! La rencontre avec ce tableau a déclenché une émotion qui reste toujours aussi vive...

Des tableaux « déclencheurs » Guernica et Le Christ mort

Une autre rencontre a marqué ma vie. C’était quelques mois après le décès de mon père, mort dans un accident de la route. Alors que j’étais en visite au musée de Bâle, je venais voir le tableau « Le Christ mort » de Hans Holbein le Jeune, tableau tout en longueur dont le modèle est un condamné décédé dans une prison. On peut voir sur le corps des empreintes et des bleus. Ce fut un moment très émouvant. J’avais très peu connu mon père, il est parti de la famille quand j’avais cinq ans, et ce tableau m’a amené à penser à sa mort récente. Ça m’a mis dans un état d’effervescence. En rentrant de ce petit voyage, j’avais un besoin prégnant d’exprimer cette émotion intense : j’ai pris des toiles et des cartons et j’ai fait toute une série qui comprend une quinzaine de tableaux sur cette thématique que j’ai appelée “Ecce Homo”. La découverte de ces deux tableaux, aussi bien celui de Pablo Picasso que celui d’Holbein est teintée d’une tristesse infinie mais ces moments douloureux m’ont marqué en tant que peintre. Ma vie artistique, je la conçois avec ces deux points d’ancrage. Il y a bien sûr d’autres d’influences mais elles ont toujours été moins fortes que la rencontre avec ces deux œuvres.

Mon voyage en France facilité grâce à un « mécène »

J’estime avoir eu beaucoup de chance dans ma vie, par exemple quand j’ai décidé de venir en France « je n’avais pas un sou ». Pour financer mon voyage, j’ai essayé de vendre mes travaux d’étudiant à des artistes installés. La première personne à qui je me suis adressé était un médecin militaire, il m’a demandé pourquoi je voulais vendre mes travaux et lorsque je lui ai expliqué mon désir de partir en France, il m’a acheté la totalité de mes peintures pour le prix d’un billet d’avion Mexico Paris. Avant mon départ il m’a dit « Quand tu seras en France, va dans les musées, regarde et découvre les grands maîtres, ils ont beaucoup à t’apprendre ».
C’est ce que j’ai fait et je continue aujourd’hui encore et toujours à découvrir les grands maîtres mais j’ai aussi ouvert mon univers à la musique, au cinéma, à d’autres moyens d’expression. .

Une enfance et une oeuvre entouré de femmes « abandonnées »

J’ai grandi dans le milieu des années 50 au Pérou. Mon père étant parti, ma mère a élévé seule ses quatre fils.
Nous avons beaucoup déménagé sans jamais nous éloigner de la famille maternelle. Du haut de mes cinq ans j’ai été très marqué par ce monde essentiellement féminin. Tout comme ma mère, mes quatre tantes vivaient seules avec leurs enfants dans le même quartier. La référence paternelle était incarnée par notre grand-père. .

Une autre expérience féminine marquante

« A l’école des Beaux Arts,nous avions une camarade dont nous remarquions les fréquentes absences. Elle est arrivée un matin en annonçant son depart définitif. Nous avons tous été très surpris et c’est à moi qu’elle s’est adressé pour expliquer qu’elle était enceinte, son copain l’avait abandonnée, elle ne pouvait plus suivre les cours. Avec d’autres, nous nous sommes mobilisés pour trouver un médecin qui accepte, dans cette Amérique du Sud très catholique, de pratiquer un avortement illegal. Entouré de femmes au sein de la famille, investi de la confiance de cette camarade, j’ai été à jamais marqué par les problématiques féminines. Je reste extrêmement sensible aux femmes et à leur condition». .

Un univers matriarcal et la condition féminine à l’honneur

« Quand je peins c’est cette imprégnation de la condition humaine et féminine en particulier qui s’impose à ma palette et à ma création presque d’une façon subliminale. Elle fait partie de moi ! Je ne cherche pas spécifiquement à peindre des toiles en relation avec l’Amérique du Sud.Je reviens sur mes peintures je vois des choses qui sont au-delà d’un continent d’un pays car j’appartiens aux lieux où je me sens aimé. Ça peut être n’importe où ! En fait, je peux me sentir inspiré par un événement qui me touche profondément, par exemple cette photo de Kim Phuc, cette jeune vietnamienne qui court sur une route pour fuir les bombes au napalm larguées sur son village. Ce n’est pas gai mais j’en ai fait une série parce que je pense qu’il faut être prêt à regarder les choses en face ». .

Accalmie nocturne propice à la création

« J’aime travailler la nuit, cela me permet de mieux gérer ce contraste entre le calme de la nuit et la violence des thèmes sur lesquels je peux m’exprimer. C’est aussi souvent pour moi un moment d’accalmie, mais cela me permet de mieux maîtriser la lumière et de faire des essais sans déranger personne, et puis j’ai l'impression que je travaille plus vite. .

Ma technique et mes supports de prédilection

Je travaille essentiellement l’acrylique qui offre un séchage rapide. C’est un « matériau » qui me correspond, je peux m’étaler dans l’atelier, créer des séries et travailler au sol. Je peins de plus en plus sur du matériel de récupération, des cartons, de la toile de store… ce qui me permet de blanchir mes supports tout en laissant des traces aussi. J’essaie d’aller au plus économique. J’économise tout: la couleur, les matériaux, tout sauf la gestuelle. .

Un souhait, un projet ?

J’aimerais pouvoir disposer d’un endroit assez grand pour étaler toutes mes toiles, cela me permettrait d’être observateur de l’ensemble de ma propre création. Je pourrais recentrer mon travail ou faire évoluer certains tableaux qui se trouvent isolés au sein de ma production, developer leur theme ou leur donner une autre dimension. .